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Les futurs des métiers en création à l'ère de l'IA

Innovation technologique

Par Marie-Ève Morissette

22 octobre 2024

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Le 5 juin 2024, à l'École NAD-UQAC de Montréal, a eu lieu un rendez-vous thématique intitulé «Les Futurs des métiers en création à l'ère de l'IA », organisé par E-AI en collaboration avec SYNTHÈSE - Pôle Image Québec.

E-AI est un organisme qui établit des ponts entre le milieu du divertissement et l’IA, la discussion était animée par Brigitte Monneau, directrice générale de SYNTHÈSE et ses invité·es : Martine Bertrand – DNEG, Eric Bellefeuille – Studio Krafton Montréal et Robin Tremblay – École NAD-UQAC.

Cette rencontre s’inscrit dans une démarche plus large lancée par SYNTHÈSE sur la transformation des métiers liés à l’IA (intelligence artificielle). Les intervenant·es étaient invité·es à discuter de la manière dont l’IA s'intègre et influence leurs vies professionnelles.

Présentation des intervenant·es

Martine Bertrand, chercheuse principale – DNEG

Martine explique qu’elle ne vient pas du milieu des effets visuels mais qu’elle a plutôt fait un doctorat et qu’elle a travaillé en chimie computationnelle, en imagerie médicale et vision par ordinateur. Elle travaille dans le domaine de l’IA à Montréal depuis 2015, et chez DNEG depuis 2 ans où elle est chercheuse principale. Son travail porte sur l’évaluation du retour sur investissement de l’IA, principalement dans les champs de la rotoscopie, de l’animation et des textures. Elle souligne qu’elle a donné des cours de physique (science fondamentale) à l’École NAD-UQAC et qu’elle a participé à l'organisation du premier symposium sur l’IA et les effets visuels, initié par le BCTQ.

Eric Bellefeuille, directeur UX | UI – Studio Krafton Montréal

Eric a une longue carrière diversifiée, qui a commencé par le graphisme traditionnel à l’époque où tout se faisait à la main. À son arrivée à Montréal, il découvre les logiciels QuarkXPress, Photoshop 1.0 et Illustrator 88, ce qui a bouleversé sa manière de travailler en intégrant le graphisme vectoriel et le langage PostScript. En 1997, il opère un changement de carrière dans un contexte marqué par l’expansion de la bulle Internet, la diminution du support papier et la réinvention des médias. Il s’intéresse alors au mouvement et désire faire vivre des émotions à travers ses créations. C’est pourquoi il s’oriente vers le jeu vidéo et travaille, entre autres, pour Ubisoft, BioWare et Behaviour. Pour lui, l’IA apparaît comme un nouvel outil qui a surpris tout le monde, et dont l’impact est difficile à évaluer, mais il estime qu’il est possible d’adopter une approche éthique et responsable.

Crédit photo : CTVM

Robin Tremblay, professeur – École NAD-UQAC

Robin est professeur à l’École NAD-UQAC depuis 1992, où il enseigne l’animation et les effets visuels en 3D. Il précise qu’il a commencé à enseigner avant l’arrivée d’Internet et que les principaux outils de l’époque étaient les logiciels Softimage et de compositing. Depuis, l’enseignement a beaucoup changé et les outils se sont diversifiés. Désormais, des logiciels comme Maya, Houdini et Nuke sont utilisés. Il s’est intéressé à l’IA suite aux questions de ses étudiant·es, qui se demandaient quelles répercussions elle aurait et surtout comment elle allait impacter l’emploi et leur futur travail.

Interventions des invité·es

La discussion porte sur le pipeline dans le domaine des effets visuels et sur la manière dont l’IA s’y intègre et transforme le travail des professionnel·les.

Martine Bertrand

Le pipeline en effets visuels permet de regrouper et d’organiser les différents postes d’édition d’images, tels que la création d’éléments, de modèles 3D, de rééclairage, de matte painting et d’arrière-plans. Ces processus concernent la transformation et l’ajout à l’image originale, ainsi que la composition de tous ces éléments ensemble. Dans ce contexte, l’utilisation de l’IA générative comme MidJourney, DALL·E ou Stable Diffusion, permet de générer facilement et rapidement du contenu audio et visuel (images ou vidéos).

Les IA sont entraînées à partir de milliards d’images et de textes afin de comprendre un morceau de texte, appelé prompt ou synthographie, qui permet de générer une image. Le principal frein à leur utilisation réside dans le fait que les modèles sont entraînés à partir de contenus disponibles sur Internet, ce qui peut inclure des images que les créateurs·trices originaux n'avaient pas nécessairement l'intention de partager. Martine explique que la résistance à l’utilisation de ces outils chez DNEG est davantage liée à la solidarité avec les artistes qu’à la crainte d'être remplacé·e.

L’IA générative est surtout utilisée au début du pipeline, lors de la conceptualisation et de l’idéation, afin de répondre rapidement aux demandes de changements. Bien que les impacts soient notables en termes d’efficacité pour les créateurs·trices de contenu audiovisuel, le retour sur investissement n'est pas aussi significatif qu'on pourrait le penser. Les organisations pourraient tirer davantage de bénéfices en mettant à jour leurs structures et logiciels obsolètes et en organisant mieux leurs banques de données pour intégrer efficacement l’IA. Le mythe de l’IA capable de tout résoudre perdure, alors qu’elle n’est pas une technologie palliative. Elle ne peut donc pas compenser toutes les lacunes en matière d’organisation et de communication.

Crédit photo : CTVM

Éric Bellefeuille

Éric Bellefeuille partage une vision où l’IA est une extension de la créativité, qui permet d’accroître le nombre de variations proposées. Cependant, de nombreux artistes hésitent à partager leurs créations pour alimenter les bases de données, ce qui a conduit à l'émergence de tags anti-IA sur certains sites. L’intérêt pour le développement d'IA sur des plateformes Open Source remet en question le contrôle et la propriété des œuvres produites. Par exemple, les contenus intégrés dans ChatGPT 3.5 n'appartiennent pas à leurs créateur·trices, ce qui souligne le besoin de transparence de la part des développeurs d'IA comme Midjourney ou Stable Diffusion. Selon son expérience, il est essentiel pour les artistes de ne pas sacrifier ses compétences au profit de la machine d’où le désir de conserver un certain contrôle sur l’utilisation de l’IA et son utilisation en tant qu’outil d’aide à l’idéation. Les freins à l’adoption des outils d'IA incluent une méconnaissance des technologies et des préoccupations concernant la protection des données. La maîtrise de la syntaxe de la synthographie est essentielle pour bien organiser les requêtes. À l'avenir, ceux et celles qui intègrent l'IA dans leur processus de création pourraient bénéficier d’un avantage pour produire une plus grande diversité et quantité de propositions, bien que des retouches restent souvent nécessaires avant la production finale. Selon lui, les perspectives d'avenir laissent à penser que dans cinq ans, les artistes qui rejetteront complètement l'IA risquent d'être dépassé·es par les personnes qui sauront intégrer ces technologies dans leur processus de création.

Robin Tremblay

En tant que professeur, Robin souligne que son rôle est de motiver les élèves, de leur donner envie de comprendre et d’utiliser l’IA de manière avantageuse, plutôt que de céder à la peur qu'elle pourrait remettre en question leurs perspectives d'emploi. Dans ses cours techniques et de production, comme le cours de photoréalisme, il encourage l’utilisation de l’IA lors de la phase de conception en tant qu’outil pour aider à améliorer le résultat des modélisations 3D. Il souligne que les textures et matériaux avec lesquels nous sommes familiers sont difficiles à recréer de manière convaincante en modélisation 3D. Le recours à l’IA permet d’avoir une idée du résultat fini rapidement, facilitant ainsi le développement technique des textures et la modélisation. Ces prévisualisations ne remplacent pas le travail final, mais servent à guider les élèves vers un rendu plus abouti et réaliste.

L'IA se révèle également précieuse pour la prévisualisation d’associations complexes de concepts visuels. Lors du brainstorming, elle permet de générer rapidement des idées visuelles en amalgamant plusieurs éléments et d’avoir un aperçu rapide de l’application de textures, d’éclairage ou l’effet d’un arrière-plan. De plus, l'IA générative aide à ajouter des détails subtils, tels que des variations dans la texture de la peau ou les plis des tissus, tout en permettant de produire plusieurs versions d'une image dans différents styles. Grâce à ces outils, les élèves peuvent affiner leur travail, en améliorant la lumière, la couleur et les textures pour des rendus toujours plus réalistes.

Questions

L’IA peut-elle entraîner une perte de créativité ?

Chaque créateur·trice possède une singularité en termes de personnalité et de culture, ce qui fait que son œuvre est unique et reflète des expériences et des perspectives distinctes. Dans ce contexte, l’IA devient un outil d’aide à la création. Toutefois, l’utilisation de l’IA demande de conserver un bon jugement, car celle-ci peut donner lieu à des « hallucinations », c’est-à-dire des résultats faux ou trompeurs présentés comme des faits certains. De plus, l’entraînement d’un réseau neuronal se fait par régression à la moyenne, ce qui entraîne une plus grande probabilité de retomber sur des concepts déjà générés, et une diminution de la variété du contenu créé.

Comment améliorer la diversité dans les banques de données ?

Il est largement reconnu que les banques de données sont biaisées et véhiculent des préjugés, ce qui pose un problème éthique. En effet, ce que l'on trouve dans ces banques de données, c’est Internet non filtré, qui transcrit les biais déjà présents. Le problème réside dans le fait que ces banques de données sont immenses et qu'il est difficile de les modifier. On a toujours besoin d’un être humain pour labelliser les jeux de données, et ce genre de tâches est souvent confié à des économies en développement. Pour pallier ces effets, il est essentiel de s’éduquer sur ces sujets afin de mieux comprendre comment les modèles sont entraînés et comment les jeux de données sont constitués.

Dans quelle mesure la capacité linguistique est-elle une compétence essentielle à développer pour l’utilisation de l’IA ?

La capacité linguistique est une compétence qui pourrait devenir essentielle à la création de demain. À ce titre, Robin Tremblay propose des formations sur la manière de bien formuler une synthographie, qui comporte un préfixe, un sujet, un suffixe et des paramètres appropriés à la fin. Il n'en demeure pas moins que l’IA est une « machine », et c’est la qualité des informations qu’on y met qui influence la qualité de la réponse. En outre, la langue peut constituer une barrière, car les modèles sont principalement entraînés en anglais. Cependant, de plus en plus de synthographies sont générées par image et il est important de noter que le « langage » de la machine diffère du langage que nous utilisons quotidiennement entre nous, ce qui nécessite d'apprendre le jargon de la machine. Or, la synthographie par image pourrait devenir plus répandue, car, comme le rappelle Martine Bertrand, une image vaut mille mots.

Crédit photo : CTVM

Le mot de la fin

L'impact de l'IA sur les métiers est indéniable, suscitant des craintes quant à la disparition ou à la transformation de certaines professions, comme celle des acteurs de voix. Cependant, l’IA peut également être envisagée comme un outil de dialogue qui enrichit et augmente la créativité des artistes. Il faut cependant développer nos compétences dans l’art de dialoguer avec la machine. Toutefois, cela ouvre la voie à de nouvelles possibilités, telles que la création d’animations qui s’ajustent aux émotions communiquées par les interprètes grâce à des technologies comme le speech-to-texture. Cette évolution, déjà en cours, suggère que l’IA ne remplace pas l’humain, mais le complète, permettant ainsi d'explorer des dimensions artistiques inédites, même si les impacts réels de cette technologie sur le processus créatif restent à mesurer.

Pour en savoir plus, retrouvez sur la plateforme EXPERTS, dans la section « Conférences & classes de maître » la captation intégrale du panel en français et en anglais sous-titré (durée 1.5 heures).

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